Un particulier a acheté de nombreux produits cosmétiques de marque CHANEL (portant la mention « Ne peut être vendu que par les dépositaires agréés CHANEL ») auprès d’une parfumerie, revendeur agréé par le réseau de distribution CHANEL. Par la suite, le particulier a revendu certains de ses produits à la société de vente de produits d’occasion EASY CASH. Contestant la légalité de ces ventes, la société CHANEL a poursuivi le particulier et l’enseigne EASY CASH en contrefaçon, parasitisme et concurrence déloyale.
Droit de revente du consommateur
Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire
d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le
commerce dans la Communauté économique européenne ou dans l’Espace économique
européen sous cette marque par le titulaire ou avec son autorisation (L713-4
ancien alinéa 1 du code de la propriété intellectuelle). Toutefois, les droits conférés au titulaire
d’une marque sont applicables uniquement à sa protection pour un «usage dans la
vie des affaires», ce qui n’est pas le cas d’un consommateur détenant
licitement des produits et les revendant d’occasion. La CJUE a rappelé dans ses
arrêts du 16 novembre 2004, Anheuser-Busch, C-245/02, Rec. p. I-10989, point
62, ainsi que du 18 juin 2009, L’Oréal e.a., C-487/07, Rec. p. I-5185, point
57), que le titulaire de la marque ne peut évoquer son droit exclusif que dans
le contexte d’une activité commerciale. La vente réalisée par le particulier ne
s’inscrivant pas dans le contexte d’une activité commerciale, la société CHANEL
a été déboutée de ses prétentions.
Responsabilité de la société EASY CASH
S’agissant de la société EASY CASH, il est constant qu’elle
a acquis les produits d’un particulier qui les avait lui-même acquis d’un
revendeur agréé, et qu’ainsi ces produits avaient été mis dans le commerce avec
l’autorisation du titulaire de la marque. Il est aussi acquis que les
protections conférées par le droit des marques ne doivent pas conduire à
interdire le marché légitime des biens d’occasion et que le titulaire de la
marque doit pouvoir justifier d’un motif légitime de s’opposer à l’opération économique
litigieuse.
A cet égard, les dispositions de l’alinéa 2 de l’article
713-4 du code de la propriété intellectuelle prévoient que malgré une mise dans
le commerce licite, faculté reste ouverte au titulaire de la marque de
s’opposer à tout nouvel acte de commercialisation s’il justifie de motifs
légitimes, tenant notamment à la modification ou à l’altération, ultérieurement
intervenue, de l’état des produits.
La société CHANEL a fait valoir avec succès que les produits
cosmétiques font l’objet d’une double péremption : une péremption objective,
dont le point de départ est la date de fabrication, et une péremption qui
pourrait être qualifiée de subjective, dont le point de départ est la date
d’ouverture du produit, celui-ci s’altérant par contact avec l’air. Elle fait
ainsi valoir que les acquéreurs de produits déjà utilisés n’ont aucun moyen de
connaître cette dernière date de péremption. Elle a également fait valoir que les cosmétiques sont soumis à des
prescriptions sanitaires particulières qui ne permettent pas leur remise dans
le commerce une fois qu’ils ont commencé à être utilisés.
S’agissant de parfums et de produits cosmétiques, la juridiction
a rappelé que toute utilisation partielle d’un produit conduit à son
altération, laquelle est gravement préjudiciable à l’image de la société CHANEL
et à l’univers de luxe et de pureté qu’elle véhicule. Ainsi, la société CHANEL,
titulaire de la marque, est fondée à s’opposer à tout acte de commercialisation
d’un produit cosmétique et de parfumerie dont il ne peut être établi qu’il n’a
jamais été utilisé au préalable (15.000 euros de dommages et intérêts).
En revanche, concernant la revente de produits à l’état neuf,
ni les droits conférés au titulaire de la marque ni l’existence d’un réseau de
distribution spécifique ne peuvent avoir pour effet d’interdire à EASY CASH de
revendre ce produit d’occasion, le marché de l’occasion étant un marché licite
et légitime qui ne doit pas être interdit au consommateur.
D’autre part, la juridiction n’a pas retenu que les conditions
de vente étaient dévalorisantes : la société EASY CASH est située dans une zone
commerciale au sein de laquelle est exploitée une parfumerie DOUGLAS, membre du
réseau agréé CHANEL, ce qui démontre que l’emplacement n’est pas en soi
dévalorisant ; d’autre part, les produits cosmétiques sont présentés sur les
étagères d’une armoire vitrée et éclairée, ce qui, s’agissant de produits d’occasion,
est un mode de présentation adéquat, y compris pour des cosmétiques de luxe.
Concurrence déloyale de la société EASY CASH
En revanche, pour pouvoir bénéficier de la protection apportée à la revente des produits d’occasion, la société EASY CASH se devait de ne pas concurrencer la vente de produits neufs, dont le réseau de distribution sélective a l’exclusivité. Or, tel n’était pas le cas, dans la mesure où l’huissier a constaté que la société EASY CASH mentionnait sur des étiquettes tant son propre prix de revente que celui du produit à l’état neuf, en faisant explicitement la comparaison entre les deux. La société EASY CASH cherchait dès lors à s’approprier non la clientèle spécifique des produits d’occasion mais la clientèle de produits neufs recherchant «la bonne affaire». Et un tel comportement est à l’évidence fautif comme constitutif de parasitisme et d’une atteinte au réseau sélectif de vente, la société EASY CASH s’appuyant sur le travail fourni par un membre de ce réseau et donc par la société CHANEL pour favoriser ses propres ventes. Télécharger la décision
Points juridiques et Modèles de contrats associés:
- Preuve de la violation d’un réseau de distribution : affaire… En l’absence de preuve de l’existence et de la licéité de son réseau de distribution sélective, une société ne peut obtenir de mesures d’interdiction de l’utilisation des photos et de la poursuite de la commercialisation de ses produits de sa marque par des revendeurs détaillants non autorisés.
- Un univers de mode peut être protégé : l’exemple Chanel C’est acquis, en propriété intellectuelle, les idées sont de libre parcours et non protégeables. Toutefois, la protection des univers graphiques et artistiques en général, dès lors qu’ils se matérialisent par des créations (modèles vestimentaires …) peuvent bénéficier d’une protection efficace par l’action en parasitisme. Une collection constitue bien une création originale ayant une valeur économique individualisée.
- Lunettes de marque : LVMH, Luxottica et Chanel écopent de… Luxottica, Logo, LVMH et Channel ont écopé d'une amende totale de près de 126 millions d'euros pour atteinte à la liberté de fixation des prix par leurs opticiens détaillants et interdiction (illicite) à ces derniers de vendre ligne leurs produits. L’interdiction n’était pas contractuelle mais en pratique un système de « police des prix » avait été mis en place.
- Rupture du contrat de distribution commerciale exclusive En présence d’une exclusivité contractuelle consentie à un distributeur, toute vente active du fabricant sur le territoire géographique concédé peut être sanctionnée par des dommages et intérêts. Par ailleurs, dès lors que les parties au contrat de distribution ont convenu ensemble, par emails, d’aménagements de leurs obligations contractuelles réciproques (modalités de livraison
- Contrat de distribution exclusive | Compétence… L’article 25-1 du règlement n°1215/2012 du 12 décembre 2012 applicable à l’espèce dispose que « si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un état membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes (…) Cette compétence est exclusive. La convention attributive de juridiction…
- Contrat de distribution exclusive Dans le cadre du contrat de distribution exclusive, le fournisseur reste libre de concurrencer les distributeurs de son réseau en ouvrant son propre site internet pour la commercialisation des produits contractuels dès lors que ce fournisseur reste dans un registre passif
- Distribution sélective de marques : pas de compétence… Une demande fondée sur des actes de concurrence déloyale ou sur le non respect d’un réseau de distribution sélective, si elle fait référence à des marques c’est uniquement pour rappeler le réseau de distribution sélective mis en place en rappelant l’objectif poursuivi par un tel réseau. Cette demande n’emporte pas compétence des juridictions spécialisées en matière de contrefaçon.
- Location de meublé touristique : chambre chez l’habitant Le Décret n° 2019-1325 du 9 décembre 2019 a mis en conformité le Code du tourisme avec les dispositions législatives issues de la loi ELAN. L'article L. 324-1-1 du code du tourisme, dans sa rédaction issue de l'article 145 de la loi ELAN, exclut la « chambre chez l'habitant » de la définition du meublé de tourisme. Le décret adapte…
- Requalification en CDI chez TF1 Productions Prudence quant à l’abus de CDD d’usage. Un salarié engagé par la société TF1, par 118 contrats à durée déterminée (CDD) successifs depuis près de 10 ans, a obtenu la requalification de sa collaboration en CDI.
- CDD d’usage : nouvelle requalification en CDI chez FTV Attention à l’abus de CDD d’usage. Après 25 ans de collaboration en qualité de machiniste, un salarié a obtenu la requalification de sa collaboration en CDI. Facteur aggravant : bien que de courte durée, ses missions étaient régulières et fréquentes
- Concurrence déloyale : la saisie de documents chez un… En présence de soupçons d’actes de concurrence déloyale par détournement de clientèle d’un ancien directeur général, demander une ordonnance sur requête (non contradictoire pour bénéficier de l’effet de surprise) est une bonne option. Toutefois, cette voie de droit suppose des indices sérieux et fondés de concurrence déloyale.
- Violation de licence GNU / GPL : une action contractuelle La violation des conditions d’utilisation d’un logiciel sous licence GNU / GPL est sanctionnable sur le fondement de la responsabilité contractuelle et non celui de la responsabilité délictuelle (contrefaçon de logiciel).
- Violation du secret de l’instruction : quel risque pour les… Le secret de l’enquête et de l’instruction connaît, dans le droit en vigueur, des tempéraments et, malgré l’importance des intérêts que le secret protège, les poursuites pour violation se trouvent limitées par la reconnaissance en droit interne et européen du droit à l’information et de la protection des sources des journalistes. Si bien que la sanction de la violation du…
- Violation du secret d’affaire : la responsabilité du salarié L’envoi par un salarié, de documents vers sa boite de messagerie privée, ne constitue pas nécessairement une faute ni une atteinte au secret d’affaire de l’employeur.
- Alliage d’œuvres d’art : violation de l’obligation de… Les composants de l’alliage de certaines œuvres sont des éléments déterminants du choix de l’acheteur, dès lors qu’il influe directement sur la solidité de la sculpture copie de l’oeuvre, et partant, sur sa solidité et sur la valeur qui peut en être attendue
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